Mémoire de recherche – Discours, pouvoirs et genres
La représentation médiatique des VSS
Introduction
Dans le cadre d’un double diplôme international (DPI) entre l’Université Lyon 2 et l’Université de Bucarest, j’ai réalisé un mémoire de recherche sur la question de la représentation médiatique des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans la presse écrite française.
Ce travail de recherche, qui s’inscrit dans le champ de l’analyse critique du discours, la sociolinguistique et le féminisme matérialiste, cherche notamment à comprendre comment les discours journalistiques peuvent participer à la construction et à la perpétuation des rapports de pouvoir autour d’une violence symbolique de genre.
Questions de recherche
Mon mémoire s’articule autour de la problématique suivante :
De quelle manière les discours médiatiques dans l’espace public français (re)produisent-ils des rapports de pouvoir, notamment une violence symbolique de genre ?
Cette interrogation a ensuite été déclinée en deux sous-questions de recherche :
- Quelles sont les représentations de genre récurrentes dans la presse en ligne autour des cas de VSS ?
- Quelles stratégies discursives permettent d’articuler ces dites représentations ?
Discours, Pouvoirs et Genres
La représentation médiatique des violences sexistes et sexuelles (VSS)
Une analyse sémio-discursive de la presse en ligne française
Contexte et enjeux
Une société patriarcale se définit comme une forme d’organisation sociale dans laquelle le pouvoir et l’autorité sont principalement détenus par les hommes. Il s’agit là d’un système qui repose sur la hiérarchie de genre, et dans lequel l’idéologie sexiste vient structurer la sphère privée comme publique, comprenant notamment l’espace médiatique. C’est dans cet espace que les violences sexistes et sexuelles (VSS) restent encore aujourd’hui, trop souvent banalisées ou perçues comme de simples faits divers, méconnaissant les dynamiques de pouvoir structurelles qui les traversent.
Dès lors, la notion de violence dans une société ne peut être abordée sans être considérée également à travers le prisme du genre. Les médias, « chiens de garde » d’une idéologie dominante, reflètent la société qu’ils représentent et façonnent l’opinion publique. En tant que technologie de pouvoir, ils possèdent la capacité de maintenir ou de transformer le système social dont ils font partie, ce qui rend nécessaire une perspective critique à leur égard.
Statistiques
En France, en 2021 :
- 217 000 femmes ont été victimes d’au moins une tentative de violence sexuelle physique (viol, tentative de viol, agression sexuelle). 91 % des auteurs de ces violences étaient des hommes.
- 1 035 000 femmes ont été victimes d’au moins une violence sexuelle physique (harcèlement sexuel, exhibition sexuelle). 73 % des auteurs de ces violences étaient des hommes.
- 321 000 femmes ont été victimes d’au moins un type de violence conjugale (physique, sexuelle, psychologique ou verbale). 92 % des auteurs de ces violences étaient des hommes.
Source : SSMSI, enquête Vécu et Ressenti en matière de Sécurité (VRS) 2022.
Cadre conceptuel de la recherche
Cette recherche mobilise plusieurs théories et concepts fondamentaux issus de la sociolinguistique, de l’analyse critique du discours (ACD) et des études de genre.
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- Analyse du discours et pouvoir : Les travaux de Michel Pêcheux, Louis Althusser et Michel Foucault permettent de conceptualiser le discours comme un phénomène à la fois linguistique et social, porteur d’idéologies.
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- Genre et construction sociale : La distinction entre sexe et genre, établie par Simone de Beauvoir ou encore Judith Butler, souligne le caractère construit et normatif des identités de genre, ainsi que leur ancrage dans des rapports de pouvoir asymétriques.
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- Violence symbolique et espace public : Pierre Bourdieu met en évidence la violence symbolique comme un mécanisme de reproduction sociale. Par ailleurs, l’analyse de l’espace public, inspirée des travaux de Jürgen Habermas, permet de situer les discours médiatiques dans un cadre plus large d’interactions entre institutions, citoyens et médias.
Méthodologie d’enquête
Le corpus de recherche est composé d’une trentaine d’articles de presse en ligne, publiés entre 2018 et 2024 par différents médias.
Il est structuré en deux grands axes :
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Une première analyse générale des discours présents dans les articles de presse traitant de cas de VSS au sens large (harcèlement, agressions sexuelles, violences conjugales…).
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Une étude de cas centrée sur l’affaire Quatennens (2022), un événement médiatique et politique lié à des accusations de violences conjugales contre un député français.
L’analyse sémio-discursive utilisée ici repose sur un instrument de recherche inspiré de l’ACD (Norman Fairclough et Ruth Wodak), organisé en cinq grandes catégories permettant de dégager les récurrences discursives et les stratégies langagières mobilisées.
Résultats et analyses
Dans un premier temps, une typologie des représentations de genre stéréotypées des acteurs présents dans ce type d’événement en lien avec les violences sexistes et sexuelles a été réalisée. On retrouve ainsi plusieurs figures récurrentes réemployées dans plusieurs articles de presse et qui ont été notées les unes après les autres.
– La figure de l’agresseur en état d’ébriété
– La figure de l’agresseur d’un âge avancé
– La figure de l’agresseur qui agit par « amour »
– La figure de l’agresseur qui commet une « erreur »
– La figure de la victime impuissante et cause de la violence
Dans un second temps, les différentes stratégies discursives qui articulent chacune des représentations stéréotypées citées ci-dessus ont été recherchées. Avec une focalisation sur les stratégies de représentation des évènements et des acteurs, propres à chaque cas de VSS.
Conclusion
Cette recherche a permis de mettre en évidence le rôle central du discours médiatique dans la construction des perceptions des violences sexistes et sexuelles. Si des progrès ont été réalisés dans le traitement journalistique de ces violences, plusieurs biais persistent :
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- Une déresponsabilisation indirecte de l’agresseur
- Une normalisation implicite de la violence
- Une invisibilisation de la parole des victimes
Dans l’ensemble, ce mémoire souligne une dépolitisation des violences de genre dans la presse : plutôt que d’être abordées comme une problématique sociale et structurelle, elles sont souvent réduites à des faits divers où l’aspect sensationnaliste est priorisée. Ce traitement médiatique contribue à une représentation biaisée de la réalité et participe au maintien d’un ordre social inégalitaire.
Ces constats amènent à interroger l’idée de neutralité journalistique, qui tend à refléter l’idéologie dominante plus qu’une objectivité réelle. Il en découle une responsabilité éthique majeure : les médias ont le pouvoir – et le devoir – d’offrir une représentation plus juste et engagée des violences de genre, afin de favoriser la compréhension, la libération de la parole et, à terme, un changement social.
Compétences mobilisées
Analyse sociolinguistique : Identification des dynamiques de pouvoir dans les discours, en croisant des approches linguistiques, sociologique et sociales.
Recherche documentaire et scientifique : Collecte et analyse de bases de données académiques, d’articles scientifiques et de discours médiatiques.
Rigueur méthodologique et académique : Élaboration d’un mémoire de recherche clair et structuré, fondé sur une démarche scientifique.
Prise de parole en public et valorisation des travaux : Réalisation d’une soutenance de mémoire structurée et convaincante, combinant clarté argumentative et aisance orale.
Approches et valeurs
Approche féministe et intersectionnelle, en mettant en lumière les rapports de pouvoir systémiques qui traversent la société et les représentations médiatiques.
Matérialisme de la langue : Approche du langage comme un espace où se jouent des rapports de pouvoir et des structures de domination.
Recherche engagée : Production d’un travail académique ancré dans des préoccupations sociales et militantes, visant à déconstruire des inégalités.